Le Monde de Franquin
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L'inconscient des objets
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Serge Tisseron
Serge Tisseron est psychiatre et psychanalyste, docteur en psychologie, directeur de recherche à Paris X - Nanterre. Il nous livre ici quelques clés du père de Gaston.
Franquin, comme Hergé, a accompagné mon enfance, mais bien différemment. Chez le maître de la ligne claire, c’était les héros qui m’intéressaient, tandis que chez Franquin, c’était les machines. Et depuis, je n’ai cessé d‘y revenir avec émerveillement.

Les machines ont en effet dans cette œuvre une identité si forte que les personnages finissent par ressembler, à côté d’elles, à de dérisoires pantins. C’est le cas des fameux « zorglhommes » qui promènent partout leurs gestes mécaniques et leur regard vide d’androïdes indifférents, mais c’est aussi celui du maire de Champignac qui enchaîne des métaphores plus boiteuses encore que les coqs à l’âne du robot Karl déconnecté dans L’Odyssée de l’espace. L’originalité de cet univers apparaît encore plus grande si on le compare à celui de Walt Disney. Chez le maître américain, objets et animaux semblent toujours avoir troqué leur identité profonde contre un ersatz d’humanité  : les fauteuils courent sur leurs quatre pieds avec la démarche d’un monsieur ventripotent, les locomotives soufflent comme des asthmatiques et les animaux caricaturent grossièrement des humains réduits à un gros nez ou à un mauvais caractère. Rien de tel chez Franquin. Chez lui, les machines ont une logique qui ne doit rien aux humains qui les entourent, à tel point qu’elles deviennent parfois les véritables héros de ses histoires, comme l’inoubliable « GAG », ce « générateur d’antigravité » qui « génère »… des « gags » innombrables.

A ces machines pensantes, souffrantes et désirantes, Franquin saura donner finalement le compagnon idéal. Ce sera Gaston Lagaffe.

Pour Lagaffe, le monde des machines n’est pas destiné à lui permettre de conquérir le monde. Nous sommes loin de cette mythologie caractéristique des années 1930 à 1960, dont Les Temps Modernes, Métropolis ou Les Aventures de Black et Mortimer sont quelques illustrations. Avec Gaston, les machines ont pour seul but de permettre à leur ingénieux créateur d’être plus tranquille ! Car ce héros mou et souple comme un escargot qui aurait perdu sa coquille n’a pas d’autre préoccupation que de s’en créer une nouvelle, plus confortable et plus avenante. Et il utilise pour cela tous les objets qui lui tombent sous la main...
Les zorglhommes ont été décervelés par la zorglonde, qui permet de dominer le comportement humain. Ces sbires sont censés obéir au doigt et à l'œil… à quelques exceptions près. © Dupuis
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